Sans titre, Collection De Stadeshof, non daté.

Carlo Zinelli (1916-1974), dit Carlo, est l’un des artistes les plus représentatifs et exceptionnels de l’Art brut. Dino Buzzati, qui réalise, en 1957, un reportage sur l’atelier d’art-thérapie où Carlo crée, décrit très bien son art :
« Plus déconcertants — et pénétrés de quelque chose d’obsessionnel — sont les stupéfiants tableaux que Carlo, avec un petit pinceau de miniaturiste, couvre d’une myriade de figurines : hommes femmes, soldats, oiseaux, monstres, lions, chats, trains, manèges, maisons, automobiles, canons, avions, chars d’assaut; avec une imagination vertigineuse dans l’architecture, la stylisation, le détail. On pense aux inscriptions rupestres préhistoriques, aux vases mycéniens, aux bas-reliefs égyptiens ou aux dessins de Picasso : on pense à eux, mais au fond ils n’ont rien à voir. C’est un monde inépuisable qui jaillit de ce petit homme doux et solitaire qui, lentement, couvre une feuille après l’autre. »

Sans titre, Collection Zander, 1974.

À cette énumération des motifs présents dans l’œuvre, on pourrait ajouter la brouette tant le véhicule se trouve partout représenté sous le pinceau de Carlo.

Sans titre, vers 1965.

Carlo Zinelli est originaire des environs de Vérone. Il commence à travailler, comme aide agricole, à l’âge de neuf ans. À partir de dix-huit ans, il travaille dans un abattoir. Peu de temps après son service militaire, il s’engage dans la guerre civile espagnole. C’est là qu’il révèle sa personnalité schizophrénique : il est renvoyé chez lui. Pendant une huitaine d’années, il est régulièrement hospitalisé à cause de ses hallucinations terrifiantes et pour son comportement antisocial.

Sans titre, Collection privée, vers 1964.

En 1947, il entre, définitivement, à l’hôpital psychiatrique San Giocomo alla Tomba de Vérone pour schizophrénie paranoïde.
Après dix années d’internement dans un quasi-total isolement, il est admis, avec d’autres patients, dans l’atelier pictural créé en 1957 par le sculpteur écossais Michael Noble et par le psychiatre Mario Marini, rejoints plus tard par le sculpteur Pino Castagna.

Sans titre, 1966-67.

Cet atelier novateur, l’un des premiers centre d’art-thérapie, laisse les patients peindre ou sculpter librement. Carlo y crée, souvent plus de huit heures par jour, en utilisant des peintures à la tempera et des crayons de couleur.
Ses travaux remarqués et exposés en dehors de l’atelier, en compagnie d’œuvres de Gaston, Wölfli et Aloïse, lui apportent une certaine notoriété. L’historien d’art Arturo Pasa écrit sur ses dessins dans les Cahiers de l’Art Brut.
À partir de 1969, désorienté par son transfert dans un nouvel hôpital, Carlo pleint plus rarement.

Sans titre, Collection de l’Art Brut, Lausanne, 1961.

Son oeuvre est constituée de plus de deux mille peintures, réalisées sur de simples feuilles blanches (le plus généralement d’un format de 50 x 70 cm ou 70 x 50 cm), avec des peintures à la tempéra, des crayons de couleur, mais aussi des collages d’emballages divers, des feuilles et des fleurs. À partir d’un certain moment, il s’est mis à peindre des deux côtés de la feuille, le verso devant être compris comme la suite du recto.

Sans titre, non daté.

Aux commencements de sa création, ses peintures sont remplies, en couleurs pâles sur fond blanc, de minuscules figures et objets dans des compositions complexes comprenant de l’écriture. Son style relève alors d’un certain pointillisme : les figures sont faites d’une infinité de minuscules points, faits au pinceau et en plusieurs couleurs.

Sans titre, 1971.

Les personnages vont ensuite grandir et prendre des allures de silhouettes, répétées horizontalement ou verticalement. On remarque une obsession pour le motif quaternaire : souvent la peinture se concentre sur une figure centrale entourée de quatre figures d’hommes, de femmes ou d’autres sujets. On peut noter également que les figures sont très souvent trouées, ou étoilées.

Sans titre, 1971.

Sans titre, non daté.

À partir de 1964, on remarque le retour de l’écriture décorative : des chiffres, des lettres et des mots (en dialecte de la région de Vérone) à référence autobiographique, des symboles comme la croix et divers emblèmes à connotation ésotérique. Le travail de Carlo s’est ordonné et complexifié, dans la narration et le symbolisme. Comme dans les peintures rupestres ou les anciennes fresques, il raconte des histoires, et comme dans les manuscrits illuminés en mêlant la peinture et l’écriture.
Ses thèmes et ses figures récurrentes, renvoyant à un passé lointain (sa vie dans le pays) ou plus récent (son expérience de la guerre) et à son quotidien à l’asile, forment une espèce d’alphabet organisé selon une grammaire personnelle : « Il a déjà été suggéré que le langage personnel de Carlo est analogue à un langage poétique et musical, dans lequel les structures de composition distinctes reflètent certains styles de chant ou d’accompagnement musical et peuvent en tout cas être lues comme une richesse expressive. » (Caterina Gemma Brenzoni : « Carlo Beyond « Polenta and Bones » », in Vernacular Visionaries : International Outsider Art, edited by Annie Carlano, Yale University Press, 2003 ; source principale consultée pour la rédaction de cette présentation).

Sans titre, 1967.

Pour finir, un petit jeu, « Où est la brouette ? » :

Sans titre, 1957.

Sans titre, 1973.
Sans titre, non daté.

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Sans titre, 1967.
Sans titre, 1966.
Sans titre, non daté.
Carlo Zinelli et Michael Noble dans l’atelier de San Giocomo, vers 1962. Photo : John Phillips.

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